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Réflexions partagées : Retours sur le colloque “Enfance + culture = socialisation” – épisode 2

Les « Réflexions partagées » sont un espace de partage de lectures, de recherches et de réflexions sur la médiation culturelle et l’éducation artistique et culturelle mises en perspective avec des travaux sur le développement de l’enfant.

Dans cet article, retours sur le Colloque « Enfance + culture = socialisation » qui s’est tenu en distanciel du 8 au 19 janvier. Il fut organisé par le Département des études, de la prospective et des statistiques (Ministère de la culture), l’équipe CIRCEFT-ESCOL (Université Paris 8) et du Centre Pompidou.

L’enjeu de ce colloque qui rassemblait près de 50 chercheurs était de réinterroger les catégories de l’enfance et les catégories d’objets culturels ainsi que leurs liens, au prisme des médiations, familiales, marchandes ou institutionnelles en s’interrogeant sur les nouvelles dispositions de socialisation.

Le colloque était organisé autour de 5 conférences plénières et plus de 30 communications en ateliers réparties en 3 thématiques :

  • Thème 1 : Étudier les jeunes enfants : vers une sociologie du développement ?
  • Thème 2 : Reproduction des inégalités culturelles : quels éclairages internationaux ?
  • Thème 3 : Socialisation et TIC : le réenchantement du monde culturel ?

J’ai pu assister à 7 conférences et ateliers en me concentrant essentiellement sur les thématiques 1 et 2. Voici un retour subjectif sur les communications de travaux de recherches concernant le développement de l’enfant, l’Education culturelle et artistique et la socialisation culturelle. Je vous propose une sélection de communications qui m’ont le plus fait réfléchir et je partage avec vous les questionnements suscités.

Episode 2 : Les dispositifs d’Education Artistique et Culturelle
autour de la communication de Claire Desmitt

Communication de Claire Desmitt : “De l’Education à l’art à l’Education par l’art : une nouvelle étape dans la fabrique de l’homo asthetic”

Cette communication s’insérait dans l’Atelier scientifique et professionnel « Les cadres politiques et normatifs de l’enfance ». Claire Desmitt est doctorante, chercheuse en sciences de l’éducation au CIREL, Université de Lille.

Dans ses travaux, Claire Desmitt cherche à appréhender la politique des PEAC (Parcours d’Education Artistique et Culturelle). Ses recherches s’inscrivent dans une perspective wébérienne en s’interrogeant sur : Qu’est-ce que les Institutions façonnent ? et quel est l’important rôle de l’Ecole dans cette logique ?

Claire explique que depuis 1959, la démocratisation culturelle a répondu à des enjeux de politiques culturelles différents. La stratégie Malraux consistait à réduire les inégalités dans l’accès aux œuvres. Avec Bourdieu, il s’agissait de réduire les inégalités dans une dynamique d’appropriation des œuvres. Aujourd’hui, la pensée institutionnelle est de faire de l’Art et de la Culture, un levier « éducatif et civilisationnel ».

La communication de Claire Desmitt est organisée en trois parties : une présentation du PEAC d’après les textes ministériels puis une analyse de l’élaboration d’une rhétorique de l’éducation par l’art et enfin des observations sur la mise en œuvre du PEAC auprès des agents de terrain.

Le PEAC d’après les textes ministériels

Dans les textes, il apparaît que le PEAC se décline en deux dimensions :

  • l’Education à l’Art avec l’acquisition de connaissances
  • l’Education par l’Art c’est à dire la formation de l’individu et du citoyen.

Pour cela, trois piliers constituent le PEAC :

  • Les enseignements artistiques c’est à dire la construction de connaissances
  • Les rencontres avec les artistes et les œuvres c’est à dire vivre des expériences artistiques et sensibles
  • Les pratiques artistiques c’est à dire expérimenter et faire.

Claire présente le PEAC comme un projet de socialisation artistique. Il ne s’agit pas seulement d’une mise en œuvre de connaissances mais aussi de familiarisation et d’incitation à la pratique. L’enjeu est de susciter le goût et l’envie de fréquenter des structures culturelles. Le PEAC se fonde sur l’individualisation des élèves grâce à une application numérique qui permet de suivre le parcours de chacun au fil des années de la maternelle au lycée.

La rhétorique de l’éducation par l’art

Claire Desmitt analyse la rhétorique de l’Education par l’Art « l’art pour éduquer » portée notamment par Alain Kerlan, philosophe, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière Lyon2. Selon Claire Desmitt, les travaux d’Alain Kerlan peuvent se lire comme une feuille de route sur la socialisation de l’art. Un collectif s’est formé « Pour l’éducation par l’art » composé d’universitaires, de sociologues et d’acteurs du monde de la culture. Ils prônent un universalisme des arts et critiquent le système éducatif. Selon eux, la solution résiderait dans le pouvoir de l’art émancipateur. Ce collectif obtient succès et reconnaissance grâce à la rhétorique déployée : publication de tribunes, constitution d’un réseau EAC. Cela engendre la production de nouveaux principes fondés sur l’amour de l’art. Claire Desmitt présente cela comme un activisme de classe pour défendre une cause commune.

La mise en œuvre du PEAC sur le terrain

Il apparaît que le PEAC se présente comme une politique ambitieuse mais il y a une perception hétérodoxe de la part des agents scolaires (enseignants, professeurs, inspecteurs…). Selon Claire Desmitt, le PEAC est principalement appréhendé comme un outil visant à rationaliser les projets EAC et à laisser une trace dans le parcours de l’élève. Les acteurs de terrain ne se soucient pas des grands discours mais de sa mise en œuvre concrète. Il apparaît alors un décalage entre la prescription institutionnelle et les réalités de terrain.

En conclusion, Claire Desmitt souligne qu’il serait intéressant de réaliser une ethnographie plus large et des entretiens avec des enseignants disposés de manière différente à l’art. Interroger les élèves et la façon dont ils s’approprient leur parcours serait aussi source de riches enseignements pour mesurer l’impact du PEAC dans la scolarité de l’élève.

Les réflexions qui ont surgi à l’écoute de cette communication

J’avais déjà entendu une communication de Claire Desmitt sur « Les modes d’appropriation enfantine des œuvres d’art et d’exposition d’art à travers la notion de « reconnaissance par corps ». Je la trouve passionnante. Ce qu’elle révèle fait sens car ses travaux mettent en mot des observations que j’ai pu faire en tant que médiatrice culturelle lorsque je montais et monte encore des projets EAC. Il existe un décalage entre les professionnels de l’EAC convaincus (et qui font du lobbying auprès des institutions) et les enseignants sur le terrain qui ne savent pas toujours comment se saisir de l’EAC. Ils ne sont pas formés et il peut y avoir une méconnaissance du monde de l’art.

Ces travaux pointent aussi les limites de l’injonction « Un parcours PEAC pour tous les élèves » car ce parcours peut être détourné des ambitions d’origine si la question du temps et des moyens n’est pas posée. Il ne suffit pas d’avoir été une fois au cinéma en maternelle, une fois au théâtre en primaire et une fois au musée au collège pour s’approprier le monde de l’art. Créer de réelles conditions de rencontres artistiques demande du temps. Accompagner l’expérience sensible des individus aussi. Le rôle des médiateurs à cet endroit fait encore plus sens. L’enjeu est véritablement de valoriser l’expérience de spectateur face aux œuvres afin de répondre pleinement à l’enjeu « Education par l’art ». Autrement, les enfants sont justes des consommateurs de culture et nous sommes loin de l’ambition de l’émancipation de l’individu.

Pour aller plus loin

Retrouvez les articles et les travaux de recherche de Claire Desmitt sur son site

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